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557. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Le précieux, tempéré par la crainte du ridicule, le précieux mitigé se personnifie, aux deux époques, en deux hommes d’esprit dupes et intéressés tout ensemble, complaisants de la mode sans se brouiller tout à fait avec le bon sens, et, par un mélange de petites qualités et de travers prudents, sachant se faire des amis utiles et n’avoir que de tièdes ennemis ; tous deux enfin morts comme écrivains, encore vivants comme types, le père Bouhours et l’abbé Trublet. […] Je vous donne à deviner ce qui s’appelait, en ce temps-là, tour à tour, « une bibliothèque vivante où l’on apprend tout sans peine et sans étude ; une salle de musiciens où l’on entend les plus savants concerts ; un théâtre magnifique où tout ce qui frappe les yeux étonne l’esprit et glace la voix ; une école toute céleste où les esprits, de quelque étage qu’ils soient, peuvent, en y arrivant, s’élever à tous moments, et, par l’approche et la communication d’un corps lumineux, acquérir tous les jours des clartés nouvelles ; un parterre orné de fleurs de toutes les couleurs ; un corps qui marche à frais communs et à pas égaux vers l’immortalité ; le sanctuaire et la famille des Muses ; une si haute région d’esprit, que l’on en perd la pensée, comme, quand on est dans un air trop élevé, on perd la respiration. » C’est l’Académie française à qui s’adressaient ces louanges à la fois si énigmatiques et si outrées, dans des discours de réception où les nouveaux élus se donnaient toute cette peine pour ne pas se dire simplement reconnaissants.

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