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14. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Eux comme lui, lui comme eux, n’ont résolu complètement, péremptoirement, une fois pour toutes, cette question des inhumations précipitées qui pend comme un poids étouffant sur nos têtes et sur nos poitrines, et qui devrait être l’anxiété, la transe universelle, puisqu’elle embrasse également et notre avenir, à nous vivants, et le passé des êtres aimés que nous avons perdus ! […] Et quand je dis la mort, c’est bien pis que la mort, cette question des enterrements vivants ! […] Je ne crois pas que depuis que la sagesse d’un temps profondément matérialiste, et qui, par-dessus le marché, se donne les grands airs d’être athée, a supprimé d’un trait cette capucinade de l’enfer chrétien qui fut la terreur de tout le Moyen Âge, il y ait dans la conscience humaine une idée plus féconde en terreur, une idée pareille à celle d’être enterré vivant ! […] Le pauvre Edgar Poe l’a poussé comme Pascal ; Edgar Poe, organisé comme Pascal, mais dans un milieu différent, qui eut horreur de cet enfer du matérialisme d’être enterré vivant, comme Pascal avait horreur de l’autre enfer ; Edgar Poe, qui eut le cerveau timbré de cette terrible idée, qui en timbra ses œuvres, qui en timbra sa vie, et qui en mourut fou plus encore que du delirium, tremens ! […] Ces bâtisseurs de lazarets pour les vivants n’ont pas pensé à créer des lazarets pour les morts.

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