Il avait l’esprit vif : dégagé des soucis pratiques et des affaires, il lut, il regarda les hommes, il se regarda lui-même, réfléchissant, conférant, ratiocinant, habile à extraire d’un fait une idée ; il fit ainsi la revue de toutes ses opinions, préjugés, croyances, connaissances, et ce faisant, il fit le tour des idées de son siècle. […] Sénèque lui laisse de son nerf, Plutarque (celui d’Amvot) de sa vive bonhomie ; Lucrèce l’élève à quelque magnificence vigoureuse : mais c’est toujours Montaigne. […] De vives images, d’imprévues alliances de mots, voilà tout le secret du charme de Montaigne : je n’en cite pas d’exemples ; qu’on ouvre les Essais à n’importe quelle page, et qu’on lise. […] Les Essais, c’est Montaigne, c’est vingt ans de vive et robuste pensée, c’est toute une vie intellectuelle ramassée en naturels discours : « livre, disait-il, consubstantiel à son auteur ». […] Il veut mettre dans le monde tout juste assez de doute pour que le monde vive en paix, pour que Montaigne ne soit tracassé, tourmenté ni par ses passions, ni par les passions de ses voisins : prêcher la tolérance, c’est fort bien ; insinuer le Que sais-je ?