Ce jugement paraîtra sans doute extraordinaire ; mais si l’éloquence consiste à s’emparer fortement d’un sujet, à en connaître les ressources, à en mesurer l’étendue, à enchaîner toutes les parties, à faire succéder avec impétuosité les idées aux idées, et les sentiments aux sentiments, à être poussé par une force irrésistible qui vous entraîne, et à communiquer ce mouvement rapide et involontaire aux autres ; si elle consiste à peindre avec des images vives, à agrandir l’âme, à l’étonner, à répandre dans le discours un sentiment qui se mêle à chaque idée, et lui donne la vie ; si elle consiste à créer des expressions profondes et vastes qui enrichissent les langues, à enchanter l’oreille par une harmonie majestueuse, à n’avoir ni un ton, ni une manière fixe, mais à prendre toujours et le ton et la loi du moment, à marcher quelquefois avec une grandeur imposante et calme, puis tout à coup à s’élancer, à s’élever, à descendre, s’élever encore, imitant la nature, qui est irrégulière et grande, et qui embellit quelquefois l’ordre de l’univers par le désordre même ; si tel est le caractère de la sublime éloquence, qui parmi nous a jamais été aussi éloquent que Bossuet ? […] Peut-être même que le sort d’une jeune princesse, fille, sœur et belle-sœur de roi, jouissant de tous les avantages de la grandeur et de tous ceux de la beauté, morte en quelques heures, à l’âge de vingt-six ans, par un accident affreux, et avec toutes les marques d’un empoisonnement, devait faire sur les âmes une impression encore plus vive que la chute d’un trône et la révolution d’un État. […] Toutes ses images sont des sensations vives ou terribles ; il les emprunte des objets les plus grands de la nature, et presque toujours d’objets en mouvement.