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980. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Le fait même qu’il n’y a point de vérité objective propre à servir de base à la vie implique la nécessité de la croyanceen une vérité objective pour constituer le réel. […] À considérer de ce point de vue de pur intellectualisme l’un des exemples invoqués au cours de cette étude, on jugera plus équitablement cette croyance absurde à une vie prolongée dans le tombeau à laquelle s’étaient attachées les premières sociétés aryennes et en vue de laquelle les Grecs et les Romains modelèrent leurs institutions. […] C’est que les instincts naturels, — sentiment de la famille, amour de la liberté individuelle, attachement aux biens immédiats et à la vie présente, — formes de l’égoïsme élémentaire, représentants d’une réalité antérieure à la genèse des sociétés humaines et contemporaine des premiers stades de la biologie, c’est que ces instincts réagissent maintenant contre la contrainte que leur imposa la croyance. […] Ainsi cet élément de la durée, sans lequel aucune réalité ne peut se constituer, peut-il devenir aussi un obstacle au développement futur de la réalité qu’il a fait naître ; condition de vie, il est aussi une menace de mort. […] Toute réalité vivante est soumise à la nécessité, — s’étant conçue de quelque façon afin de se former, — de se concevoir autre désormais et de se différencier quelque peu d’elle-même pour persister dans l’existence : « Qu’il faille que je sois lutte, devenir et but et contradiction des buts »22, tel est l’aveu secret que murmure la Vie à l’oreille attentive de Zarathoustra.

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