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913. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Gustave III »

Par un contraste qui fait mieux ressortir la duplicité étrange d’une nature qui semble relever autant de la tératologie que de l’histoire, Gustave III eut toute sa vie pour adversaire, et même pour adversaire déconcertant, une femme, — une femme-homme, comme lui, il était un homme-femme, — cette Catherine II, surnommée la Sémiramis du Nord par ceux-là qui ont oublié d’ajouter que Gustave III en était le Sardanapale, et, chose à noter dans tous les deux ! […] que de monter au bûcher tous les jours de sa vie ; — comme la femme, la vraie femme, aux passions et aux qualités de la femme, la Ménagère sublime qui fit vingt ans le ménage de la Russie, était aussi dans Catherine, et, malgré ses airs parfois hommasses, n’en bougea jamais ! […] Eh bien, c’est ce phénomène qui saute aux yeux dans la vie de Gustave III, c’est cet hermaphrodisme de son personnage historique, qu’il eût été intéressant d’étudier et de mettre en valeur dans le récit qu’on eût fait du règne de cet homme qui avait, à la fois, trop et trop peu pour être cette simplicité équilibrée et toute-puissante que l’on appelle un grand homme ! […] C’est là ce qui explique tout dans la vie de cet incroyable roi, que Catherine, en belle mauvaise humeur, comparait spirituellement à « un comédien en voyage », et justement c’est ce qui explique ses ribambelles de voyages qui n’étaient que de la coquetterie étouffant dans cette toute petite Suède, et qui voulait déborder sur le monde et y régner sur tous les cœurs ! […] Quoi qu’il devînt plus tard, il bénéficia toute sa vie de ce coup d’État, galant et bien troussé, accompli sans un seul coup de feu, parce qu’on était bien résolu à en tirer dix mille s’il le fallait.

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