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1752. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Les uns véritablement prédestinés et divins, naissent avec leur lot, ne s’occupent guère à le grossir grain à grain en cette vie, mais le dispensent avec profusion et comme à pleines mains en leurs œuvres ; car leur trésor est inépuisable au dedans. […] Depuis quelque temps, et le premier feu de l’âge, la première ferveur de l’esprit et des sens étant dissipée, le souvenir de son enfance, de ses maîtres, de sa tante religieuse à Port-Royal, avait ressaisi le cœur de Racine ; et la comparaison involontaire qui s’établissait en lui entre sa paisible satisfaction d’autrefois et sa gloire présente, si amère et si troublée, ne pouvait que le ramener au regret d’une vie régulière. […] La vie de retraite, de ménage et d’étude, qu’il mena pendant les douze années de sa maturité la plus entière, semblerait confirmer notre conjecture. […] La poésie alors, qui faisait partie de la littérature, se distinguait tellement de la vie que rien ne ramenait de l’une à l’autre, que l’idée même ne venait pas de les joindre, et qu’une fois consacré aux soins domestiques, aux sentiments de père, aux devoirs de paroissien, on avait élevé une muraille infranchissable entre les Muses et soi. […] Des critiques sans portée ont abusé du droit de le citer pour modèle, et l’ont trop souvent proposé à l’imitation par ses qualités les plus inférieures ; mais, pour qui sait le comprendre, il a suffisamment, dans son œuvre et dans sa vie, de quoi se faire à jamais admirer comme grand poëte et chérir comme ami de cœur.

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