« J’ai fait, disait Émile à vingt ans, j’ai fait du malheur de ma naissance la méditation de toute ma vie. » Cela est vrai d’Émile à vingt ans, de l’Émile du roman qui nous est montré se consumant dans sa méditation et succombant sous son malheur. […] Durant quinze nuits de veille et d’insomnie, il raconte toute sa vie de vingt ans, déjà si pleine, son enfance, la distribution des prix où tous ses rivaux sont heureux et environnés de caresses, où, lui, il n’a point de mère à embrasser ; la confidence du proviseur, l’acte de naissance produit, avec son déguisement, l’inscription de rente qui l’accompagne, le tout déchiré et mis en pièces par le jeune homme indigné ; la solitude d’un jeune cœur, le besoin d’aimer, le besoin d’une famille, la plainte de la nature, l’amer abandon de celui dont il a été dit : « Cui non risere parentes. […] Tracer ce caractère, raconter cette vie, ce serait remonter aux droits primitifs de l’homme, ce serait toucher à toutes les conditions sociales, ce serait appeler l’attention du philosophe et du législateur sur des questions qui n’ont pas encore été soulevées… Un tel caractère serait sans doute un modèle que je me suis plus d’une fois proposé. » Émile a résolu, depuis, le problème, un peu autrement sans doute que dans cette donnée première qui supposait alors une société monarchique, à demi aristocratique et parfaitement régulière. […] La description des préparatifs est très-sentie, et l’événement qui a tant marqué depuis dans la vie de M. de Girardin y donne un sens particulier et comme prophétique : « Le mystère qu’il faut mettre à tous les apprêts d’un duel, ces apprêts mêmes, ont quelque chose d’horrible ; les soins, les précautions qu’il faut prendre, le secret qu’il faut garder, tout cela ressemble aux préparatifs d’un crime. […] Mais, à travers tout, les faits sociaux s’accomplissent ; les entraves devenues trop étroites se brisent ; les cercles s’élargissent à l’infini ; la publicité coule à pleins bords : si c’est l’inconnu, c’est aussi la vie et la condition de l’avenir.