De là vient qu’il court des journées entières après des inconnus qui ont quelque chose de singulier dans leur marche, dans leur costume, dans leur ton et dans leur regard ; qu’il réfléchit avec profondeur sur une circonstance contée légèrement et que personne ne trouve digne d’attention ; qu’il rapproche des choses complètement antipodiques et qu’il en tire des comparaisons extravagantes et inouïes. » « Lélio s’écria à haute voix : « Arrêtez, c’est là notre Théodore. […] En un temps où on est las de toutes les sensations et où il semble qu’on ait épuisé les manières les plus ordinaires de peindre et d’émouvoir, en un temps où les larges sentiers de la nature et de la vie sont battus, et où les troupeaux d’imitateurs qui se précipitent sur les traces des maîtres ne savent que soulever des flots de poussière suffocante, lorsqu’on avait tout lieu de croire que le tour du monde était achevé dans l’art, et qu’il restait beaucoup à transformer et à remanier sans doute, mais rien de bien nouveau à découvrir, Hoffmann s’en est venu qui, aux limites des choses visibles et sur la lisière de l’univers réel, a trouvé je ne sais quel coin obscur, mystérieux et jusque-là inaperçu, dans lequel il nous a appris à discerner des reflets particuliers de la lumière d’ici-bas, des ombres étranges projetées et des rouages subtils, et tout un revers imprévu des perspectives naturelles et des destinées humaines auxquelles nous étions le plus accoutumés. […] Comment le mal augmente, quel remède on y trouve, et par quels degrés Eugène en vient à changer sa vieille et bonne moitié, qui se résigne d’elle-même au divorce, contre la petite nièce de quatorze ans qui a fini par en avoir seize, c’est ce que le lecteur ne manquera pas de lire tout au long dans Hoffmann avec plus d’un sourire entremêlé d’attendrissement.