Le procédé des beaux vers est mortel au vrai talent ; tout y est sacrifié, la suite et la belle ordonnance des idées, l’ampleur des développements, la richesse et la variété des horizons, la véritable fécondité qui se renouvelle et se déploie. […] La conquête des forces de la nature livrées comme des esclaves obéissantes à l’industrie, allégeant le rude travail des hommes en le multipliant dans des proportions inouïes, ces inventions sans nombre qui augmentent la puissance et l’intensité de la vie, si elles n’ont pu encore en accroître la durée ; la vapeur transportant les produits, les idées et les hommes d’un monde aux extrémités d’un autre monde à travers les mers et les montagnes, victorieuse dans une certaine mesure des puissances hostiles, de l’attraction et de l’espace ; de simples fils de fer jetés sur la surface du globe et l’enveloppant comme dans un réseau nerveux le long duquel court la pensée, la terre revêtue par l’homme d’organes véritables, investie de pouvoirs nouveaux qui dormaient jusqu’alors dans son sein à l’état de forces perdues, devenant ainsi comme un vaste organisme au service de l’humanité, toutes les conséquences morales qui en découlent, le rapprochement des races, la création d’une conscience collective de l’espèce humaine ; l’avenir mille fois plus riche encore que le présent et réduisant de plus en plus le domaine de l’impossible, il y a là des trésors inépuisables pour l’imagination : le danger est qu’elle en soit accablée. […] Le prologue marque le lien qui existe dans la pensée du poète entre Les Destins et La Justice ; il reprend l’idée qui a servi de conclusion à son dernier livre : Une œuvre s’accomplit, obscure et formidable Nul ne discerne, avant d’en connaître la fin, Le véritable mal et le bien véritable ; L’accuser est stérile, et la défendre vain.