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154. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Ne prenons pas le change sur le cadre ou sur le ton : tant d’énumérations moralisées ou satiriques que nous rencontrons, ne sont qu’une forme originale de littérature réaliste, dont le caractère essentiel est de réveiller chez l’auditeur la sensation des réalités qui lui sont prochaines : et comme cette littérature s’adresse à des imaginations vierges, non blasées encore, ni réfractaires par un trop long usage à l’action suggestive des mots, les noms soûls des choses, sans descriptions, sans épithètes, sans tout le mécanisme compliqué du style intense, les noms tout secs sont puissants : le poète se contente d’appeler, pour ainsi dire, chaque objet, aussi le voilà présent, en sa concrète et naturelle image, aux esprits de ceux qui l’entendent. […] Voulant traduire en faits les préceptes de l’Art d’aimer, et faire un roman didactique, il se souvint d’un poème latin du siècle précédent, le Pamphilus, où le poème d’Ovide est mis en action par quatre personnages, Vénus, le jeune homme, la jeune fille et la vieille : il prit à un Fabliau du dieu d’Amours le cadre du songe qui transporte l’amant dans le jardin du Dieu ; et, forcé par la tradition de donner un nom de convention à sa belle, il trouva, dans l’usage de donner poétiquement des noms de fleurs aux dames, plus précisément encore dans un Carmen de Roua et dans un Dit de la Rose, l’idée de représenter l’amante sous la figure de la Rose, c’est-à-dire l’allégorie fondamentale de l’œuvre, qui entraînait nécessairement toutes les autres allégories et personnifications. […] Enfin, de tout temps, le bourgeois a détesté l’hypocrisie et médit des « capots » : et il définit hypocrisie ou cagotisme tout ce qui n’est pas la religion telle qu’il l’entend et la pratique, accommodée à son usage, intérêts et préjugés. […] Toutes les institutions, tous les usages qui, réglant les rapports sociaux de l’homme et de la femme vont contre la nature, sont condamnés par la raison. […] Mais l’usage de l’instinct crée le mérite et le démérite : l’homme est libre, et, selon sa science, choisit entre les actes que son instinct lui suggère ; s’il suit la nature et l’Évangile, qui en termes différents lui font le même commandement, la nature l’avertissant de travailler pour l’espèce, l’Évangile lui enjoignant de se dévouer au prochain, il se désintéressera ; il éloignera l’ambition, l’avarice, la volupté, l’égoïsme : il sera doux, humble, charitable, et s’efforcera de vaincre par l’amour les misères sociales.

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