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395. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Suave comme toutes les opales de l’Orient, au matin, et triste comme les lueurs qui meurent si vite au crépuscule, elle fut, pour ceux qui la lurent, l’Aurore du jour de son frère : une aurore qui a aussi des larmes ! […] À cet âge fatal, la plupart des femmes se courbent sous les ruines qu’elles portent et n’ont plus, pour toute beauté, que le front triste des cariatides écrasées ; mais Mlle Eugénie de Guérin, si Dieu ne l’avait pas rappelée à lui, eût porté sur le sien les ruines de la vie aussi légèrement que les canéphores portaient autrefois leurs corbeilles ; car elle avait tout ce qui allège le poids des années, — la pureté du cœur, l’ingénuité de la pensée, la fleur d’imagination éternelle, et cette confiance en Dieu qui en sait encore plus long que le Génie, et qui, en regardant la terre, voit le ciel. […] Maurice de Guérin s’en alla dans les collèges, — puis des collèges dans ce triste monde qui est l’école de toutes les luttes et de toutes les misères ; mais quand, à travers les brutales modifications qu’y subissent les plus fermes cœurs, il voulut se retrouver et se revoir et reprendre, pour ainsi parler, l’identité de son être, il regarda vers le Cayla et dans l’âme de sa sœur, — ce pur miroir toujours suspendu à la même place, comme la glace du fond d’un tabernacle !

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