Victor Hugo, d’un puissant coup d’aile, a rompu la vieille entrave de l’école, il a mis en liberté la pensée ; à l’ode, il a rendu ses ailes d’aigle ou de rossignol ; il a fait du roman l’épopée moderne ; du ventre de la tragédie morte, il a tiré le drame vivant ; dans un ordre d’idées plus humble en apparence, — en apparence seulement, — il a quadruplé le nombre des mots en usage dans ce qu’on appelait la langue noble, — sans néologisme cependant, car le néologisme est hideux, — exhumant les expressions des époques naïves, acceptant les termes populaires de l’époque nouvelle ; enfin il a réalisé notre admirable vers français, que Ronsard avait entrevu, que Corneille avait voulu, que Chénier avait rêvé, ce vers peu compris peut-être par les oreilles étrangères et inconsidérément calomnié, qui, souple et divers, harmonieusement nombreux et propre à s’emplir de choses comme le vers métrique d’Homère et de Lucain, en outre porte à sa cime, comme une bannière claquante, sa retentissante rime, multiple, innombrable, et dont l’effet, personnel à notre langue, manque à toute autre poésie que la nôtre. […] Dis, te souvient-il de la tragédie Que nous avons vue un soir ? […] Par l’audace et la simplicité de ses conceptions tragiques, par son intime connaissance des passions humaines, par son vers musical, par sa musique poétique, par l’intervention d’une nouvelle forme mélodique qu’on a appelée la mélodie continue et qui fait que le chanteur chante sans avoir l’air de le faire exprès, par son merveilleux orchestre qui joue à peu près le rôle du chœur dans la tragédie antique et qui, toujours mêlé à l’action, la corrobore, l’explique, en centuple l’intensité par des rappels analogues ou antithétiques à chaque passion, à chaque caractère du drame, Richard Wagner, vous transportera extasiés dans un milieu inconnu, où le sujet dramatique, vous pénétrant avec une puissance incomparable par tous les sens à la fois, vous fera subir des émotions encore inéprouvées !