Aussi ne me témoigne point cette réserve extrême, ô jeune fille, si tu as quelque chose à me demander ou à me dire ; mais, puisque nous sommes venus ici à bonne intention, dans un lieu sacré où tout manquement est interdit, traite-moi en toute confiance… » Et il lui rappelle la promesse qu’elle a faite à sa sœur ; il la conjure par Hécate et par Jupiter-Hospitalier ; il se pose à la-fois comme son hôte et son suppliant ; et il touche cette corde délicate de louange qui doit être si sensible chez la femme ; car, après tout, Médée est un peu une princesse de Scythie, une personne de la Mer-Noire qui doit être secrètement flattée de faire parler d’elle en Grèce112. « Je te payerai ensuite de ton bienfait, lui dit-il, de la seule manière qui soit permise à ceux qui habitent si loin l’un de l’autre, en te faisant un nom et une belle gloire. […] Jason essaye de la satisfaire et commence à lui parler de sa patrie ; puis, touché par degrés et gagné à la tendresse, il s’interrompt en s’écriant : « Mais pourquoi te raconter toutes ces choses que le vent emportera, et ma patrie, et notre famille, et la très-illustre Ariane, fille de Minos, nom brillant qui fut celui de cette vierge aimable sur laquelle tu m’interroges ? […] Il y a dans l’Anthologie une épigramme de Rufin que voici au naturel : « Quand même il ne viendrait pu’au bord des lèvres, le baiser d’Europe est doux ; il est doux, quand même il ne ferait qu’effleurer la bouche ; mais il ne touche pas seulement du bout des lèvres : quand elle appuie la bouche, elle enlève l’âme jusque des ongles. » On retrouverait la même expression dans d’autres épigrammes, notamment d’Asclépiade. — Comme correctif au baiser si accentué de Rufin, j’ai bien envie de glisser un baiser moderne, plus délicat, pétrarquesque, et qui a pourtant aussi son aiguillon, sa saveur pénétrante ! […] Et toi, ô Étranger, que la mer ne t’a-t-elle englouti avant que tu aies touché la terre de Colchide !