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712. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Si c’est de l’homme isolé, tombé du sein de la femme sur le sein de la terre, l’homme enfant n’a d’autre liberté que celle de mourir en naissant, car sans la société préexistante entre la femme et son fruit conçu par une rencontre purement bestiale, la femme n’est pas même tenue à le relever du sol, à le réchauffer sur son sein et à l’abreuver du lait de ses mamelles ; et si, par un premier acte de cette société instinctive qu’on appelle l’amour maternel, l’enfant est nourri d’abord d’un aliment mystérieux préparé pour lui par la nature, aussitôt qu’il est sevré, que devient-il ? […] la basse gravitation physique qui détache et qui fait tomber le fruit de l’arbre quand il est mûr, sans se soucier du tronc qui l’a porté, et qui fait relever la branche avec indifférence quand la branche est soulagée du fruit détaché ! […] Ne faut-il pas en effet que le peuple existe, qu’il existe en sol, en population, en société, en connaissance de ses intérêts, de ses droits, de ses devoirs, en civilisation et en volonté, avant de convenir qu’il se rassemblera en comices pour délibérer sur son existence, sur son mode de sociabilité, sur ses lois, sur sa république ou sur sa monarchie, et de donner ou de refuser son consentement à ces juges tombés du ciel ou sortis des forêts, Moïse, Lycurgue, Numa, Montesquieu ou Rousseau, sauvages chargés d’improviser la société et de faire voter le genre humain ? […] Si l’homme de l’humanité ne cultivait que le blé, et ne multipliait que pour la mort, sur l’écorce de cette planète, le regard de la Providence divine daignerait-il seulement y tomber ? […] Supposez, en effet, que le père en mourant emporte avec lui tout son droit de propriété dans la tombe, et que la propriété soit viagère dans le chef de cette société naturelle de la famille ; le père mort, que devient l’épouse, la veuve, la mère ?

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