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575. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Malgré l’amitié de M. d’Avaux, son ancien condisciple, avec qui il avait renoué un commerce familier, il ne brillait encore que dans les cercles bourgeois, lorsque M. de Chaudebonne, l’ayant un jour rencontré dans une maison, lui dit : « Monsieur, vous êtes un trop galant homme pour demeurer dans la bourgeoisie ; il faut que je vous en tire. » Par lui Voiture fut présenté chez la marquise de Rambouillet, l’oracle du mérite et de la politesse, et dès ce moment il entra dans sa vraie sphère ; il n’eût plus qu’à suivre sa vocation, qui était d’être le bel esprit à la mode dans une société d’élite. […] En tout cela on trouve le même art, le même talent de société déguisé, métamorphosé en cent façons, et jaloux de tirer d’un rien tout ce qui peut donner à une familiarité d’habitude le piquant de la diversité et de l’imprévu. […] Il écrivait en prose et en vers fort agréablement, et d’une manière si galante et si peu commune, qu’on pouvait presque dire qu’il l’avait inventée : du moins suis-je bien que je n’ai jamais rien vu qu’il ait pu imiter, et je pense même pouvoir dire que personne ne l’imitera jamais qu’imparfaitement ; car enfin, d’une bagatelle il en faisait une agréable lettre, et si les Phrygiens disent vrai lorsqu’ils assurent que tout ce que Midas touchait devenait or, il est encore plus vrai de dire que tout ce qui passait dans l’esprit de Callicrate devenait diamant, étant certain que du sujet le plus stérile, le plus bas et le moins galant, il en tirait quelque chose de brillant et d’agréable.

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