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1295. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Rien ne nous en tire, rien ne nous en arrache. […] De ce rien, de cet embryon rudimentaire qui est la première idée d’un livre, faire sortir le punctum saliens , tirer un à un de sa tête les incidents d’une fabulation, les lignes des caractères, l’intrigue, le dénouement : la vie de tout ce petit monde animé de vous-même, jailli de vos entrailles et qui fait un roman. […] Là-dedans passe et repasse toute la famille, les deux filles de Gautier, Judith, dans un costume d’Esméralda de la comédie italienne, développant des grâces molles ; la jeune Estelle, svelte dans son habit d’Arlequin, et montrant sous son petit museau noir, de jolies moues d’enfant ; le fils de Gautier en Pierrot un peu froid, un peu trop dans son rôle, un peu trop posthume ; puis enfin Théophile Gautier, lui-même faisant le docteur, un Pantalon extraordinaire, grimé, enluminé, peinturluré à faire peur à toutes les maladies énumérées par Diafoirus, l’échiné pliée, le geste en bois, la voix transposée, travaillée, tirée on ne sait d’où, des lobes du cerveau, de l’épigastre, du calcaneum de ses talons : une voix enrouée, extravagante, qui semble du Rabelais gloussé. […] L’auteur de Volupté arrive dans la toilette d’un petit mercier de province en partie fine, tire de sa poche une calotte de soie noire, une calotte à la fois d’Académie et de sacristie, qu’il met sur sa tête pour la défendre des courants d’airs. […] Je suis à mes dernières cartouches et je tire tout… Franchement, au fond je suis blasé ou plutôt dégoûté, las.

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