Après Moscow et la retraite de Russie, disait le spirituel M. de Stendhal, Iphigénie en Aulide devait sembler une bien moins bonne tragédie et un peu tiède ; il voulait dire qu’après les grandes scènes et les émotions terribles de nos révolutions et de nos guerres, il y avait urgence d’introduire sur le théâtre un peu plus de mouvement et d’intérêt présent. […] Je crois même qu’à titre de pièce achevée et accomplie, de tragédie parfaite offrant le groupe dans toute sa beauté, il mettait Iphigénie au-dessus des autres, et la qualifiait le chef-d’œuvre de l’art sur notre théâtre. […] La pièce se donna pour la première fois sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, le 21 novembre 1670 ; elle eut d’abord plus de trente représentations, un succès de larmes, des brochures critiques pour et contre, des parodies bouffonnes au Théâtre-Italien, enfin tout ce qui constitue les honneurs de la vogue. […] Elle crut qu’une victoire obtenue sur l’amour le plus vrai et le plus tendre ennoblissait le sujet, et en cela elle ne se trompait pas ; mais elle avait encore un intérêt secret à voir cette victoire représentée sur le théâtre : elle se ressouvenait des sentiments qu’elle avait eus longtemps pour Louis XIV et du goût vif de ce prince pour elle. […] Geoffroy remarque avec raison que Titus serait sifflé, s’il agissait ainsi au théâtre, « et Rousseau, ajoute-t-il, mérite de l’être pour avoir consigné cette opinion dans un livre de philosophie. » Tout se tient en morale : c’est pour n’avoir pas senti cette délicatesse particulière, cette religion de dignité et d’honneur qui enchaîne Titus, que Jean-Jacques a gâté certaines de ses plus belles pages par je ne sais quoi de choquant et de vulgaire qui se retrouve dans sa vie, et que l’amant de madame de Warens, le mari de Thérèse, n’a pas résisté à nous retracer complaisamment des situations dignes d’oubli.