Quelquefois j’étois frapé au théâtre des tableaux des grands maîtres : ils échaufoient mon émulation ; et je formois déja quelque projet de marcher sur leurs traces : la chaleur qu’ils me communiquoient me donnoit quelques momens d’entousiasme, et je me sentois grand de mon admiration pour eux : si j’apercevois quelque faute ou quelque foiblesse ; car où n’y en a-t-il point ; je ne désesperois pas de les éviter : et j’en oubliois presque, que ce ne seroit rien, si je n’atteignois d’ailleurs à leurs beautés : enfin je les étudiois attentivement, et je me faisois des principes de leurs exemples : tout cela soutenoit mon courage, tant que j’avois le plaisir de les entendre : mais à peine revenu de cette yvresse, je sentois de nouveau toute mon insuffisance : j’avois beau réver à quelque plan, rien ne s’arrangeoit à mon gré : ou je retombois dans des desseins rebatus, ou les circonstances me manquoient pour remplir mon action : par tout de la ressemblance ou du vuide ; et enfin découragé, humilié de mes vains efforts, il en falloit revenir à mes petits ouvrages ; bien résolu d’attendre pour chausser le cothurne qu’une action théatrale me frapât par sa singularité et par sa grandeur, et que j’y pusse trouver tous mes avantages pour un heureux arrangement.