L’embaucheur, payé à tant par homme qu’il recrute et à tant par pouce de taille au-dessus de cinq pieds, « tient ses assises dans un cabaret, régale » et fait l’article : « Mes amis, la soupe, l’entrée, le rôti, la salade, voilà l’ordinaire du régiment » ; rien de plus, je ne vous trompe pas, le pâté et le vin d’Arbois sont l’extraordinaire787. » Il fait boire, il paye le vin, au besoin il cède sa maîtresse : « après quelques jours de débauche, le jeune libertin qui n’a pas de quoi s’acquitter est obligé de se vendre, et l’ouvrier, transformé en soldat, va faire l’exercice sous le bâton ». — Étranges recrues pour garder une société, toutes choisies dans la classe qui l’attaque, paysans foulés, vagabonds emprisonnés, gens déclassés, ; endettés, désespérés, pauvres diables aisément tentés et de cervelle chaude, qui, selon les circonstances, deviennent tantôt des révoltés et tantôt des soldats. […] Il a tenu les hommes séparés, il les a empêchés de se concerter, il a si bien fait, qu’ils ne se connaissent plus, que chaque classe ignore l’autre classe, que chacune se fait de l’autre un portrait chimérique, chacune teignant l’autre des couleurs de son imagination, l’une composant une idylle, l’autre se forgeant un mélodrame, l’une imaginant les paysans comme des bergers sensibles, l’autre persuadée que les nobles sont d’affreux tyrans. — Par cette méconnaissance mutuelle et par cet isolement séculaire, les Français ont perdu l’habitude, l’art et la faculté d’agir ensemble.