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16. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

Quand les poésies de Hebel parurent, Goethe et Jean-Paul, qui tenaient le sceptre de la Critique en Allemagne, firent entendre de ces paroles qui étaient le jugement antidaté de la postérité, la question de toute supériorité intellectuelle n’étant jamais rien de plus qu’une avance de la Pensée sur le Temps : « Je viens de lire pour la sixième fois — s’écriait Jean-Paul — ce recueil de chants populaires qui pourrait trouver place dans celui de Herder, si on osait faire un bouquet au moyen d’un autre. […] De l’un, il observe d’un œil joyeux et frais les objets de la nature qui manifestent leur vie d’une manière palpable par leur accroissement ou leur mouvement, et qu’ordinairement nous tenons pour inanimés. […] Procédé grossier et barbare, diront les académies, mais loyal et le seul que rechercheront toujours les artistes profonds, les vrais connaisseurs, qui savent reconstituer une poésie avec les mots qui l’ont exprimée, comme on imagine l’effet d’ensemble du collier dont on tient les perles défilées dans sa main. […] Buchon sait maintenant à quoi s’en tenir sur les empêchements d’une traduction comme la sienne. […] Mais le résultat de cette méthode est que rien ne se tient plus debout dans cette poésie fracturée, où de temps en temps, pourtant, passent des strophes charmantes et des vers étonnants de sentiment et de coloris !

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