Voiture, en homme d’esprit (et il avait bien autrement d’esprit proprement dit que Balzac, qui avait principalement du talent), ne songea point à lutter avec lui : il laissa ce provincial superbe et solennel croire qu’il régnait de sa maison d’Angoulême sur l’empire des lettres ; il lui rendit même hommage : quant à lui, il ne se piqua que de bien vivre, de vivre le plus agréablement, de conquérir la faveur des plus grands et des plus belles, et, tout en s’amusant à tous les étages, de s’épanouir par son côté précieux au centre de la vraie urbanité dans la plus douce lumière. […] En tout cela on trouve le même art, le même talent de société déguisé, métamorphosé en cent façons, et jaloux de tirer d’un rien tout ce qui peut donner à une familiarité d’habitude le piquant de la diversité et de l’imprévu. […] Il a plus tard esquissé, sans le terminer, un éloge du comte duc dans lequel on lit cette magnifique définition de la monarchie espagnole : « Celui-ci, au rebours (des ministres précédents plus favorisés), a toujours cheminé avec un vent contraire : parmi les ténèbres, et lorsque le ciel était couvert de toutes parts, il a tenu sa route au milieu des bancs et des écueils, et durant la tempête et l’orage il a eu à conduire ce grand vaisseau dont la proue est dans l’océan Atlantique et la poupe dans la mer des Indes. » Mais ce n’est là qu’un trait de talent et une belle image, comme l’écrivain doué d’une imagination poétique peut en trouver. […] Pourtant on ne peut s’empêcher de remarquer que si Boileau avait ajouté à ses talents de poète et à sa finesse de critique les grâces et le monde de Voiture, son art de vivre sur un pied de familiarité avec les plus grands et de jouer sans cesse avec eux sans s’oublier, il eût mieux ressemblé à Horace.