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753. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Qui voudrait recueillir dans les correspondances du temps les mots et les jugements de Mme Du Deffand, du président Hénault et autres de ce monde-là sur Voltaire, les jugements du président de Brosses, de Frédéric, de Mme de Créqui (j’en ai donné des échantillons), quiconque ferait cela aurait l’idée d’un Voltaire vrai, non convenu, non idéalisé et ennobli par l’esprit de parti, et auquel on laisserait toutefois la gloire entière de ses talents. […] Molière, louant le peintre Mignard, son ami, et célébrant ses grands travaux du Val-de-Grâce, lui disait, ou plutôt disait à son sujet à Colbert : L’étude et la visite ont leurs talents à part ; Qui se donne à la Cour se dérobe à son art. […] Quand on ne songe qu’à l’idéal de l’agrément, à la fleur de fine raillerie et d’urbanité, on se plaît à se figurer Voltaire dans cette demi-retraite, dans ces jouissances de société qu’il rêva bien souvent, qu’il traversa quelquefois, mais d’où il s’échappait toujours. « Mon Dieu, mon cher Cideville, écrivait-il à l’un de ses amis du bon temps, que ce serait une vie délicieuse de se trouver logés ensemble trois ou quatre gens de lettres avec des talents et point de jalousie, de s’aimer, de vivre doucement, de cultiver son art, d’en parler, de s’éclairer mutuellement ! […] Il est un moment et un milieu où les talents et les esprits, jusque-là tout jeunes et adolescents, s’achèvent, se font et deviennent adultes : l’Angleterre a été ce lieu pour Voltaire. […] Vous seule seriez capable de m’enivrer encore ; mais, si vous avez toujours le saint zèle de faire des prosélytes, vous trouverez dans Paris des esprits plus propres que moi à cette vocation, plus jeunes, plus hardis, et qui auront plus de talent.

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