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702. (1761) Apologie de l’étude

Mais la même Providence, qui semble avoir attaché le bonheur à la médiocrité du rang et de la fortune, semble aussi l’avoir attaché de même à la médiocrité des talents, apparemment pour nous guérir de l’ambition en tout genre. […] On peut comparer les talents médiocres à ce qu’on appelle dans l’État la bourgeoisie aisée, c’est-à-dire à la classe de citoyens la moins enviée et la plus paisible. […] En effet, s’ils trouvaient aujourd’hui dans un livre, sans nom d’auteur, que les lettres ne guérissent de rien, qu’elles ne nous apprennent point à vivre, mais à disputer ; que la raison est un mauvais présent fait à l’homme ; que depuis que les savants ont paru, on ne voit plus de gens de bien ; ils ne manqueraient pas d’attribuer cette satire de l’esprit et des talents à quelque déclamateur moderne, ami des paradoxes et des sophismes ; l’antiquité, diront-ils, était trop sage pour penser de la sorte, et encore moins pour l’écrire. […] Il est vrai que dans ce triste et effrayant tableau, où l’on tracerait avec les couleurs de l’éloquence les malheurs essuyés par les gens de lettres, il faudrait bien se garder, pour ne pas manquer son but, d’y opposer les marques d’honneur, de considération et d’estime que les talents ont reçus tant de fois.

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