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513. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Tels sont les petits hommes, tels aussi doivent être les petits poèmes. » Mais évidemment il cherchait encore ses sujets, et la forme neuve et curieuse de ce talent en éveil ne savait où s’appliquer avec suite et vigueur. […] Tout le temps que Cowper fut entre ces deux femmes (car bientôt lady Austen devint leur proche voisine, et leur journée était en commun), il eut tout ce qu’il pouvait désirer pour son talent de poète, à savoir, l’impulsion et la critique. « Sans Mme Unwin, il est probable qu’il ne fût jamais devenu auteur, et sans lady Austen, il ne fût jamais devenu un auteur populaire », a dit très judicieusement Southey. […] Mais auparavant il y eut des heures uniques où, dans cette compagnie riante, excité et rassuré à la fois, il jouissait, à cet âge tardif, d’une jeunesse inattendue, et où son talent comme son cœur trouvait enfin son épanouissement. — Et aussi ne nous figurons point Cowper toujours affublé de cette espèce de bonnet de nuit bizarre sous lequel on nous le représente invariablement dans ses portraits. […] — À cette heure où, entrant dans une veine de composition nouvelle, il prenait véritablement possession de tout son talent, et où, comme il le disait d’un mot, le rejeton était devenu un arbre (« fit surculus arbos »), Cowper rappelait, avec l’orgueil d’un auteur ayant conscience de son originalité, qu’il y avait treize ans qu’il n’avait point lu de poète anglais, et vingt ans qu’il n’en avait lu qu’un seul, et que, par là, il était naturellement à l’abri de cette pente à l’imitation que son goût vif et franc avait en horreur plus que toute chose : « L’imitation, même des meilleurs modèles, est mon aversion, disait-il ; c’est quelque chose de servile et de mécanique, un vrai tour de passe-passe qui a permis à tant de gens d’usurper le titre d’auteur, lesquels n’auraient point écrit du tout s’ils n’avaient composé sur le patron de quelque véritable original. » C’est ainsi qu’en se créant tout à fait à lui-même un style selon ses pensées et une forme en accord avec le fond, ce solitaire sensible et maladif, ingénieux et pénétrant, a été l’un des pères du réveil de la poésie anglaise. […] Cowper écouta, rit beaucoup, y rêva toute la nuit, et le lendemain matin il avait fait sa ballade ou complainte (il avait un talent particulier pour les ballades), qui fit rire aux larmes la petite assistance au déjeuner.

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