Cette poésie touchante, familière et pure, a aussi tenté, de nos jours, quelques hommes de talent en France, et je suis loin de ne pas les estimer à leur prix : toutefois la veine principale et la source vive ont été surtout en Angleterre, et j’aimerais à ce que nos auteurs en fussent mieux informés, non point pour aller l’imiter et la vouloir directement transporter chez nous, mais pour se mieux pénétrer des conditions nécessaires à ce genre d’inspirations et pour s’y placer, s’il se peut, à l’avenir. Afin d’éviter les considérations générales et trop vagues, je m’attacherai tout d’abord à des noms connus, et prenant Saint-Lambert, l’auteur des Saisons, je me rendrai compte de son insuffisance autrement encore que par le talent ; puis je toucherai rapidement à Delille, et seulement par ce côté ; choisissant, au contraire, chez nos voisins, le poète qui, non pas le premier, mais avec le plus de suite, de force originale et de continuité, a défriché ce champ poétique de la vie privée, William Cowper, j’aurai occasion, chemin faisant, de rencontrer toutes les remarques essentielles et instructives. […] Quelques épigrammes qu’on a, quelques mots piquants qu’on sait de Saint-Lambert, marquent le talent qu’il aurait eu pour le genre satirique s’il se l’était permis. […] Est-il besoin maintenant de faire sentir les aspects arides qui, indépendamment de ce qui lui faisait faute dans le talent, devaient lui fermer les sources du dehors ? […] Ce noble et bon vieillard a écrit dans ses dernières années d’admirables lettres où respire la poésie de la solitude, de la campagne, de la famille regrettée et perdue, de l’amitié toujours accueillie, et de la patrie céleste de plus en plus prochaine et souhaitée ; mais le même homme, qui a sous sa plume en prose des paroles douces et fortes comme le miel des déserts, ne trouve plus dans ses vers de la même date que des couleurs mêlées, inégales, et où le talent se relâche trop dans la bonhomie : ici, c’est l’art et l’originalité de forme qui a manqué.