/ 2819
570. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Et là-dessus comme il me parle d’un délicieux dessin qu’il vient d’acquérir, dessin représentant un vieillard au milieu d’objets d’art, prenant une prise de tabac au coin de sa cheminée, et dont il ignore le nom, je lui dis : « Ça doit être ça », et je lui tends le premier volume des Mémoires du baron de Besenval, où il y a en tête une vignette de son portrait dans son cabinet, d’après Danloux. […] Il est aussi un effet terrible pour les assistants, c’est que le petit jour levé dehors, n’éclaire point encore l’intérieur de la prison, et quand on marche dans ces demi-ténèbres derrière le condamné, et qu’au moment, où s’il avait les mains libres, il pourrait toucher la porte, les battants s’ouvrent dans un coup de théâtre, et vous laissent voir soudainement, dans la clarté froide du matin, les deux montants de la guillotine, et les yeux grands ouverts de toutes ces têtes de regardeurs, le spectacle a quelque chose d’inexprimable. […] C’est maintenant abominable ce cimetière Montmartre, avec sa route au tablier de fer sur les têtes. […] Je suis parvenu, en guidant l’ébauchoir du sculpteur, à affiner la grosse et large matérialité qu’il avait donnée à sa figure, à resserrer le bas du visage, où il y avait une si jolie et si petite touche, ce bas du visage que tous les dessinateurs ont allongé au détriment du haut de la tête ; je suis parvenu à lui refaire la ligne du nez tout à fait juste. […] Chapu, le sculpteur de tant de statues et de bustes célèbres, du bas-relief en marbre que vous avez sous les yeux, ce monument où le statuaire, dans la sculpture de l’énergique tête du romancier, et dans l’élégante allégorie de la Vérité prête à écrire le nom de Gustave Flaubert sur le livre d’Immortalité, a apporté toute son habileté, tout son talent.

/ 2819