» Ici nous retrouvons quelques-unes des idées particulières et, si l’on veut, des préventions de Vauvenargues, un reste de gentilhomme, ou plutôt un commencement de grand homme ambitieux, qui aimerait mieux franchement être Richelieu que Raphaël, avoir des poètes pour le célébrer que d’être lui-même un poète ; qui aimerait mieux être Achille qu’Homère : « Quant aux livres d’agrément, ose-t-il dire, ils ne devraient point sortir d’une plume un peu orgueilleuse, quelque génie qu’ils demandent ou qu’ils prouvent. » Il ne permet tout au plus la poésie à un homme de condition et de ce qu’il appelle vertu, que « parce que ce génie suppose nécessairement une imagination très vive, ou, en d’autres termes, une extrême fécondité, qui met l’âme et la vie dans l’expression, et qui donne à nos paroles cette éloquence naturelle qui est peut-être le seul talent utile à tous les états, à toutes les affaires, et presque à tous les plaisirs ; le seul talent qui soit senti de tous les hommes en général, quoique avec différents degrés ; le talent, par conséquent, qu’on doit le plus cultiver, pour, plaire et pour réussir. » Ainsi la poésie, il ne l’avoue et ne la pardonne qu’à titre de cousine germaine de l’éloquence, et qu’autant qu’elle le ramène encore à une de ces grandes arènes qui lui plaisent, à l’antique Agora ou au Forum, ou à un congrès de Munster, en un mot à une action directe sur les hommes. […] [NdA] Je crois, indépendamment des autres raisons exposées dans le premier article, que cette période stoïcienne si prolongée, ne laisse point de place chez Vauvenargues à une période chrétienne qu’on aurait pu naturellement lui supposer avant la publication de ces correspondances. […] Certes je ne méprise point Saint-Just, ni son talent remarquable, ni cette puissance de fanatisme qui suppose un caractère énergiquement trempé; mais on s’est trop accoutumé de nos jours, sur la foi d’historiens qui énervent et romantisent l’histoire, à traiter ces hommes de terreur et de haine, comme des semblables, comme des humains, à les faire rentrer dans le cercle des comparaisons ordinaires, presque familières, et je repousse pour Vauvenargues tout rapprochement avec le jeune et beau monstre.