Sans doute on ne peut pas plus comparer La Bruyère à Molière qu’on ne compare le talent de peindre les caractères à celui de les faire agir et de faire sortir leurs traits de la situation où l’art sait les placer ; mais, supérieur à Molière par l’étendue, la profondeur, la diversité, la sagacité, la moralité de ses observations, il est son émule dans l’art d’écrire et de décrire, et son talent de peindre est si parfait, qu’il n’a pas besoin de comédiens pour vous imprimer dans l’esprit la figure et le mouvement de ses personnages. […] La Champmeslé y aurait fait mal au cœur. » Si Voltaire avait eu le loisir de lire madame de Sévigné, avec l’application qu’on est en droit d’exiger d’écrivains moins occupés qui parlent d’elle, il aurait vu que les préventions de cette femme illustre, préventions qui n’ont pas été jusqu’à méconnaître le mérite de Racine et à lui préférer Pradon, tenaient à un principe moral d’une nature fort supérieure aux préceptes du goût en littérature. […] Elle parle aussi dans la même lettre d’une lecture que Boileau doit faire chez ce même cardinal, de son Lutrin et de sa Poétique, il faut que nos commentateurs se croient bien supérieurs en intelligence à cette bonne madame de Sévigné, pour se persuader qu’il leur était réservé de découvrir, à près de deux siècles de distance, une malveillance dont elle était l’objet, et dont elle ne se doutait pas, et pour pénétrer le sens et l’intention d’écrits dirigés contre elle, dont elle avait la sottise d’approuver le fond et la forme et d’aimer les auteurs.