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612. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Elle ne permet plus aux mots de se suivre selon l’ordre variable des impressions et des émotions ; elle les dispose régulièrement et rigoureusement selon l’ordre immuable des idées. […] De cette façon, la phrase est un échafaudage gradué, où l’esprit place d’abord la substance, puis la qualité, puis les manières d’être de la qualité, comme un bon architecte qui pose en premier lieu le fondement, puis la bâtisse, puis les accessoires, par économie et par prudence, afin de préparer dans chaque morceau de son édifice un support pour le morceau qui suit. […] Obligé de s’accommoder à ses auditeurs, c’est-à-dire à des gens du monde qui ne sont point spéciaux et qui sont difficiles, il a dû porter à la perfection l’art de se faire écouter et de se faire entendre, c’est-à-dire l’art de composer et d’écrire  Avec une industrie délicate et des précautions multipliées, il conduit ses lecteurs par un escalier d’idées doux et rectiligne, de degré en degré, sans omettre une seule marche, en commençant par la plus basse et ainsi de suite jusqu’à la plus haute, de façon qu’ils puissent toujours aller d’un pas égal et suivi, avec la sécurité et l’agrément d’une promenade. […] Suivre en toute recherche, avec toute confiance, sans réserve ni précaution, la méthode des mathématiciens ; extraire, circonscrire, isoler quelques notions très simples et très générales ; puis, abandonnant l’expérience, les comparer, les combiner, et, du composé artificiel ainsi obtenu, déduire par le pur raisonnement toutes les conséquences qu’il enferme : tel est le procédé naturel de l’esprit classique. […] Dans un livre qui est comme le testament philosophique du siècle382, Condorcet déclare que cette méthode est « le dernier pas de la philosophie, celui qui a mis en quelque sorte une barrière éternelle entre le genre humain et les vieilles erreurs de son enfance ». — « En l’appliquant à la morale, à la politique, à l’économie politique, on est parvenu à suivre dans les sciences morales une marche presque aussi sûre que dans les sciences naturelles.

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