Pour parler à présent des caracteres particuliers, j’avoue que celui d’Achille est assez également soutenu ; mais il n’en est pas de même de la plûpart des autres. […] Il s’ensuit de là que ce seroit un aussi grand défaut à un poëte de ne pas soutenir les caracteres, qu’à un historien de chercher à les soutenir aux dépens de la vérité. […] Et d’ailleurs, quand il eût été obligé à ce détail, ne pouvoit-il pas l’interrompre plus sensement, comme il le fait quelquefois, en racontant de quelques uns de ses héros, des histoires variées, où il étoit le maître de mêler des circonstances propres à soutenir et à réveiller l’attention ? […] Il s’adresse d’abord à Ulysse, ne daignant pas seulement parler au superbe Achille ; et s’il s’échape ensuite à lui reprocher directement son orgueil, c’est par l’impétuosité du dépit même : je ne desirerois qu’une chose dans son discours ; c’est qu’il finît par un trait d’indignation, qui soutînt dans l’ame du lecteur le même mouvement que le reste y fait naître. […] Il n’y a jamais eu d’ouvrage fait pour plaire, qui se soit soutenu long-temps sans une beauté d’expression convenable à la matiere ; et quoique les ouvrages dogmatiques puissent s’en passer, puisque l’auteur ne s’y propose que d’instruire, et que le lecteur ne doit s’y proposer que d’apprendre, on ne laisse pas de regretter encore l’agrément du langage, quand il y manque.