Mirabeau toujours préoccupé de l’idée que Vauvenargues n’est pas ambitieux, qu’il est philosophe par tempérament et par choix (il le juge trop sur la mine, et par le dehors), qu’il est porté à l’inaction et au rêve, le presse souvent et dans les termes d’une cordiale amitié de se proposer un plan de vie, un but, de ne plus vivre au jour la journée : « Nous avons besoin de nous joindre, mon cher ami ; vous appuieriez sur la raison, et je vous fournirais des idées. » Vauvenargues décline ce titre de philosophe auquel, dit-il, il n’a pas droit : Vous me faites trop d’honneur en cherchant à me soutenir par le nom de philosophe dont vous couvrez mes singularités ; c’est un nom que je n’ai pas pris ; on me l’a jeté à la tête, je ne le mérite point ; je l’ai reçu sans en prendre les charges ; le poids en est trop fort pour moi. […] Il est vrai qu’on se fait une réputation et qu’elle impose au grand nombre, mais c’est l’acheter chèrement, et il est encore plus pénible de la soutenir ; et, quand il n’y aurait d’autre désagrément que de lire tous les mauvais livres qui s’impriment, afin d’en pouvoir raisonner, et d’entendre tous les jours de sottes discussions, ce serait encore trop pour moi… Il me serait fort agréable d’avoir de la réputation, si elle venait me chercher ; mais il est trop fatigant de courir après elle, et trop peu flatteur de l’atteindre, lorsqu’elle coûte tant de soins. […] Toutefois, sur cette protestation de son peu d’étude et de lecture, Mirabeau n’est pas dupe et n’est crédule qu’à demi : « Vous ne lisez point, me dites-vous, et vous me citez tous les mots remarquables de nos maîtres ; cela me rappelle Montaigne qui soutient partout qu’il craint d’oublier son nom tant il a peu de mémoire, et nous cite dans son livre toutes les sentences des anciens. » — S’il convie son ami à s’ouvrir à lui, il lui donne largement l’exemple et ne se fait pas faute de se déclarer.