La langue qu’ils parlent évite à la fois la grâce et la passion : qui songerait à s’imaginer l’homme dans le savant ? […] Si sur ce point nous nous trompons souvent, si nous sommes souvent obligés de constater un étrange écart entre l’homme tel que nous l’avions supposé et celui qu’un hasard de la vie nous laisse voir, ne nous hâtons pas de dire que le poète ne ressemble pas à son œuvre ; songeons plutôt que, dans l’opération de notre imagination émue par l’œuvre, intervient un grave élément de déformation : notre propre personnalité. […] Alors seulement nous égalerons l’art exquis des Poetæ Minores de la Perse ou de la Chine — et, d’instinct, n’est-ce pas à l’allusion des Japonais que songe la suggestion des symbolistes ? […] Vous ne reprocherez donc plus au poète ses raffinements qui sont, au fond, pour lui, des moyens d’expression plus précise et dont nul ne songerait à s’étonner dans une civilisation d’où l’art ne serait pas originellement et essentiellement proscrit. […] Renan qui personnifie toute l’inquiétude de ce siècle sceptique, et pourtant avide de certitude, sans être le plus savant des exégètes, a porté le coup le plus redoutable aux vieilles assises du christianisme en rendant Jésus à l’humanité : c’est désormais l’Homme admirable, le prêtre et le martyr du plus haut idéal humain, le rêveur d’absolu, notre gloire et notre exemple, l’homme vraiment divin, — non plus le Dieu fait homme. — Wagner a pris aux catholiques la beauté de leurs rites et surtout de la messe en écrivant « Parsifal » : mais ce qui était dans l’Église une expression adéquate se transforme chez le poète en pur symbole et signifie tout le songe du présent et de l’avenir de notre humanité.