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833. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Le soleil se levait magnifiquement après de longues pluies ; les trompettes sonnaient, les cris de cette multitude armée montaient jusqu’au ciel ; à perte de vue, sur la plage, dans la rivière largement étalée, sur la mer qui s’ouvre au-delà spacieuse et luisante, les mâts et les voiles se dressaient comme une forêt, et la flotte énorme s’ébranlait sous le vent du sud78. […] La sale chaumière enfumée, le noir château féodal, où tous, sauf le maître, couchent pêle-mêle sur la paille dans la grande salle de pierre, la pluie froide, la terre fangeuse rendent délicieux le retour du soleil et de l’air tiède. « L’été est venu. —  Chante haut, coucou !  […] Ainsi va leur vie tout aventureuse et décorative, promenée en plein air et au soleil, parmi les cavalcades et les armes ; ils représentent et se réjouissent de représenter. […] Voyez cette peinture du vaisseau qui amène en Angleterre la mère du roi Richard : « Le gouvernail était d’or pur ; — le mât était d’ivoire ; — les cordes de vraie soie,  — aussi blanches que le lait,  — la voile était en velours. —  Ce noble vaisseau était, en dehors, tout tendu de draperies d’or… —  Il y avait dans ce vaisseau — des chevaliers et des dames de grande puissance ; — et dedans était une dame — brillante comme le soleil à travers le verre128. » En pareils sujets ils ne tarissent jamais. […] Il a songé « qu’il était dans un désert,  — il ne put jamais savoir en quel endroit,  — et comme il regardait en l’air,  — du côté du soleil,  — il vit une tour sur une hauteur,  — royalement bâtie,  — une profonde vallée au-dessous,  — et là-dedans un donjon,  — avec de profonds fossés noirs,  — et terribles à voir. » Puis, entre les deux, une grande plaine remplie de monde, « d’hommes de toutes sortes,  — pauvres et riches,  — travaillant et s’agitent,  — comme le veut le monde ; — quelques-uns à la charrue — labouraient avec un grand effort,  — pour ensemencer et planter,  — et peinaient durement,  — gagnant ce que des prodigues venaient détruire et engloutir164. » Lugubre peinture du monde, pareille aux rêves formidables qui reviennent si souvent chez Albert Durer et chez Luther ; les premiers réformateurs sont persuadés que la terre est livrée au mal, que le diable y a son empire et ses officiers, que l’Antechrist, assis sur le trône de Rome, étale les pompes ecclésiastiques pour séduire les âmes et les précipiter dans le feu de l’enfer.

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