Et certes, il la connaît mieux cette cité de transition qu’il a laissée en arrière, et qu’il ne voit aujourd’hui que comme un amas de tentes mal dressées, il la connaît mieux que nos myopes turbulents qui, logés dans quelque pli, s’y cramponnent et s’y agitent ; qui, du sein des coteries intestines de leurs petits hôtels, s’imaginent qu’ils administrent ou qu’ils observent, savent le nom de chaque rue, l’étiquette de chaque coin, font chaque soir aux lumières une multitude de bruits contradictoires, et avec l’infinie quantité de leurs infiniment petits mouvements n’arriveront jamais à introduire la moindre résultante appréciable dans la loi des destinées sociales et humaines. […] Mais, on le sent, la position restait toujours un peu fausse : s’il était victorieux séparément contre les légitimistes purs et les purs disciples du Contrat social, on avait droit de lui demander, à lui, où il plaçait le siège de cette loi suprême, et comme c’était à Rome, on pouvait lui demander encore par quel mode efficace il la faisait intervenir dans le temporel ; car alors elle intervenait nécessairement, le roi de France étant le fils aîné de l’Église et la confusion des deux ordres s’accroissant de jour en jour par les efforts de sa piété égarée. […] La révolution de Juillet, en brisant, du moins en droit, le système insoluble de la Restauration, a permis à M. de La Mennais de se produire enfin politiquement dans une pleine lumière : après sa mémorable série dans l’Avenir sur la réorganisation catholique et sociale, il n’est plus possible à un lecteur de sens et de bonne foi de garder l’ombre d’un doute aujourd’hui. […] Jamais au contraire on n’aspira avec une si vive ardeur à un nouvel ordre de choses : tout le monde l’appelle, c’est-à-dire appelle, sans se l’avouer et s’en rendre compte, une révolution… Oui, elle viendra, parce qu’il faut que les peuples soient tout ensemble instruits et châtiés ; parce qu’elle est indispensable, selon les lois générales de la Providence, pour préparer une vraie régénération sociale. […] Pour plus de garantie contre le relâchement et par une sorte de sainte inquiétude, il s’est voué à un exercice infatigable dans la rude voie où la Grâce l’a glorifié ; c’est un trappiste de l’intelligence : l’application opiniâtre de la pensée catholique aux diverses portions du domaine scientifique et social, tel est le champ qu’il laboure chaque matin dès avant l’aurore.