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689. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Louis XIV a été plus loué pendant son règne, que tous les rois ensemble de la monarchie ne l’ont été pendant douze siècles. […] On remarque sur les lois, qu’en diminuant l’abus des procédures, et réglant la forme des tribunaux, il laissa subsister le vice de cent législations opposées, et ne fit qu’ébaucher un ouvrage immense, qui, parmi nous, attend encore le zèle d’un grand homme ; sur l’agriculture, qu’il connut peu les vrais principes qui l’encouragent, principes découverts par Sully, employés dans les belles années de Henri IV, oubliés sous le ministère orageux et brillant de Richelieu, retrouvés ensuite par Fénelon, et développés avec succès dans ce siècle, où les grands besoins font chercher les grandes ressources ; sur le commerce, qu’il eut peut-être sur cet objet des vues beaucoup plus vastes que solides ; que ses vues même étant en contradiction avec ses besoins, d’un côté il voulait le favoriser, et de l’autre il le chargeait d’entraves ; sur les manufactures, qu’il les encouragea avec grandeur, mais qu’il fit quelquefois de ces arts utiles le fléau de l’État, en immolant le laboureur à l’artisan ; enfin, sur la partie militaire, que sa perfection même nous donna une gloire éclatante et dangereuse, qu’elle arma la France contre l’Europe, et l’Europe contre la France, et fut récompensée et punie par trente ans de carnage. […] qui, dans un pays et dans un siècle ingrat, où quelquefois, comme dans l’ancienne Rome, on punirait l’honnête homme de ses vertus, et l’homme de génie de ses talents, qui voudrait se livrer à des travaux pénibles et se donner la peine d’être grand ? […] Celui d’un prince qui, placé dans une époque où sa nation était capable de grandes choses, sut profiter des circonstances sans les faire naître, qui, avec des défauts, déploya néanmoins toute la vigueur du gouvernement, qui, suppléant par le caractère au génie, sut rassembler autour de lui les forces de son siècle et les diriger, ce qui est une autre espèce de génie dans les rois ; qui enfin, donna un grand mouvement et aux choses et aux hommes, et laissa après lui une trace forte et profonde.

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