Mon Dieu, elle parlait comme son siècle. […] Je prétends simplement que la pénétration réciproque était bien faible aux siècles passés entre Parisiens et provinciaux, qu’ils avaient de sérieuses raisons de s’ignorer, et, quand ils se rencontraient, de se trouver dissemblables. […] Je pourrais prendre l’un après l’autre les différents rôles classiques du provincial : le petit marchand des villes, le gros marchand enrichi, le châtelain ignorant et vaniteux, le châtelain pauvre, le châtelain grand seigneur, les femmes surtout qui se ressemblent presque toutes dans les romans dits provinciaux, mal habillées, sentimentales, courtes d’intelligence, de dévotion étroite, intimidées et hypnotisées à la seule vue d’une Parisienne ; je pourrais prendre ces personnages et montrer que, sauf de bien légères nuances, ils n’ont pas changé en passant de livre en livre, qu’ils sont au fond les mêmes et comme immuables dans la littérature depuis trois siècles. On m’objectera ici que plusieurs grands écrivains de notre siècle ont étudié la province, et que, représentants de l’école réaliste, ils n’ont pas dû se borner à suivre une mode, à opiner de la plume parce que les anciens maîtres avaient dit du mal de la province, mais que, s’ils ont persisté à n’en pas écrire favorablement, ils ne l’ont fait qu’après enquête personnelle, scientifiquement et avec le scrupule de la réalité qu’ils apportent en leurs moindres ouvrages. […] Ainsi donc, ces différences superficielles de costumes, d’habitudes et de langage, sur lesquelles nos écrivains, depuis trois siècles, ont insisté tant et tant de fois, sur lesquelles ils ont bâti des livres, qu’ils ne se lassent point de décrire lorsqu’ils opposent la province à Paris, disparaissent de plus en plus.