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15. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — La vision d’où est sorti ce livre (1857) »

La Légende des siècles, tome premier, in Œuvres complètes de Victor Hugo. […] J’eus un rêve : le mur des siècles m’apparut. […] Tous les monstres, chacun dans son compartiment ; Le siècle ingrat, le siècle affreux, le siècle immonde ; Brume et réalité ! […] La muraille semblait par le vent remuée ; C’étaient des croisements de flamme et de nuée, Des jeux mystérieux de clartés, des renvois D’ombre d’un siècle à l’autre et du sceptre aux pavois, Où l’Inde finissait par être l’Allemagne, Où Salomon avait pour reflet Charlemagne ; Tout le prodige humain, noir, vague, illimité ; La liberté brisant l’immuabilité ; L’Horeb aux flancs brûlés, le Pinde aux pentes vertes ; Hicétas précédant Newton, les découvertes Secouant leurs flambeaux jusqu’au fond de la mer, Jason sur le dromon, Fulton sur le steamer ; La Marseillaise, Eschyle, et l’ange après le spectre ; Capanée est debout sur la porte d’Électre, Bonaparte est debout sur le pont de Lodi ; Christ expire non loin de Néron applaudi. […] * Lorsque je la revis, après que les deux anges L’eurent brisée au choc de leurs ailes étranges, Ce n’était plus ce mur prodigieux, complet, Où le destin avec l’infini s’accouplait, Où tous les temps groupés se rattachaient au nôtre, Où les siècles pouvaient s’interroger l’un l’autre Sans que pas un fît faute et manquât à l’appel ; Au lieu d’un continent, c’était un archipel ; Au lieu d’un univers, c’était un cimetière ; Par places se dressait quelque lugubre pierre, Quelque pilier debout, ne soutenant plus rien ; Tous les siècles tronqués gisaient ; plus de lien ; Chaque époque pendait démantelée ; aucune N’était sans déchirure et n’était sans lacune ; Et partout croupissaient sur le passé détruit Des stagnations d’ombre et des flaques de nuit.

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