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408. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Paul Bourget pour Byron, dont il descend par les sensations et par les sentiments, est assez grand et assez résolu pour ne pas souffrir d’un jugement qui le rapproche, même pour le diminuer, du grand poète qu’il admire le plus. […] Dans Jeanne de Courtisols, très supérieure selon moi à Georges Ancelys, les deux amants meurent tous deux du même sentiment ; ils meurent de n’avoir pas parlé, inconnus l’un à l’autre et méconnus l’un par l’autre. […] Paul Bourget est bien plus homme et bien plus poète quand il ne parle que de lui, de sa propre pensée, de ses propres sentiments, quand il ne chante que pour son propre compte, et quand lui, lui seul, s’agite dans les mystérieuses et prophétiques anxiétés de la destinée. […] Sceptique comme lord Byron, — et c’est peut-être sa plus profonde ressemblance avec le grand poète qui accable toute comparaison, — sceptique comme Alfred de Musset et comme tous les enfants d’un siècle qui, du moins, avait sauvé du naufrage de son ancien spiritualisme l’honneur d’être sceptique encore, mais qui a fini par étouffer jusqu’au dernier éclair tremblant du scepticisme dans son âme, morte maintenant, morte toute entière sous l’athéisme contemporain, le douloureux inquiet de La Vie inquiète, qui, fût-il heureux, a de ces pressentiments et de ces incertitudes : Peut-être vous cachez sous votre pur sourire Des pleurs que j’essuirai des lèvres quelque jour… mêle à tous les sentiments qu’il exprime ce scepticisme qui ne va à Dieu, dont on doute, que pour retomber à la créature dont on va douter ; car le scepticisme est la plus cruelle des anxiétés de la vie, c’est la plus formidable inquiétude, pour une âme ardente, qui puisse dévorer l’esprit et le cœur ! […] Il met au-dessus de tout le sentiment et la pensée, — dons de Dieu !

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