L’âme du poème était l’exaltation des sentiments les plus puissants et les plus élevés de la société féodale qui, constituée d’abord en France, s’organisait alors dans toute l’Europe : le courage, l’honneur, l’amour du pays, la fidélité de l’homme envers son seigneur et envers ses « pairs », le dévouement à la cause chrétienne. […] L’histoire, où ces éléments ne sont pas moins en jeu, ne lui semblait pas se prêter aussi bien à fournir la base de l’interprétation rêvée : elle précise trop les caractères et les faits, en même temps que les événements y sont trop fortuits et ne naissent pas des données psychologiques et morales, tandis que les mythes et les légendes, n’étant que l’incarnation d’idées et de sentiments, subordonnent nécessairement les événements à ces données mêmes. […] Le Moyen Âge que Wagner voulait faire revivre, en le transfigurant par le sentiment moderne, c’était le Moyen Âge allemand. […] C’est à cette classe qu’appartient la légende qui fait le fond de la chanson de Tannhäuser ; seulement elle remplace la nostalgie tout humaine des vieux contes païens par le sentiment nouveau du « péché », et elle présente comme un acte de désespoir le retour du héros dans le « paradis » infernal. […] Le sentiment qui est au fond des vieux mythes sur le séjour de la joie sans mélange s’est retrouvé — tant il est vraiment humain — dans l’âme du poète philosophe qui, de nos jours, a essayé, sans recourir à ces mythes et sans les connaître, de donner, lui aussi, un corps à notre rêve de bonheur.