Si rien, chez M. de Tocqueville, n’annonce un regret, ni encore moins une antipathie contre cette loi de développement qu’il reconnaît et proclame comme providentielle, si dans le savant tableau qu’il nous retrace des États-Unis et du principe qui y triomphe, il se laisse aller parfois à un sentiment d’admiration grave, tel que le philosophe politique peut en exprimer, nous devons dire qu’il paraît moins rassuré en ce qui concerne l’Europe et la France. […] Pleins d’un amour sincère pour la patrie, ils sont prêts à faire pour elle de grands sacrifices : cependant la civilisation trouve souvent en eux des adversaires ; ils confondent ses abus avec ses bienfaits, et dans leur esprit l’idée du mal est indissolublement unie à celle du nouveau. » Cette absence de lien entre les opinions et les goûts, entre les actes et les sentiments, entre l’énergie des désirs et la justesse des vues, ce divorce trop habituel entre les convictions chrétiennes restantes et les sympathies de l’avenir, toute cette confusion morale attriste le jeune philosophe et lui semble un symptôme presque unique dans l’histoire.