Il est vrai que l’examen qu’ils font d’eux-mêmes est tenu fort secret ; c’est un procès qui se plaide et qui se juge à huis clos, s’il est permis de se servir de cette expression ; et on serait bien fâché que l’arrêt sévère qui le décide fût ratifié par la multitude. […] On en jugerait néanmoins tout autrement, à voir les ressorts qu’ils font jouer pour obtenir des suffrages plus éclatants qu’éclairés, et la haine envenimée qu’ils se portent, qu’ils n’ont pas même la prudence de tenir secrète ; ces hommes si faibles se font pourtant appeler philosophes, comme si la philosophie, avant de régler à sa manière et bien ou mal le système du monde, ne devait pas commencer par nous-mêmes, et nous apprendre à mettre le prix à chaque chose. […] Je serais fâché pour les Anglais, que nous affectons de louer par préférence, qu’ils fussent la dupe de ces motifs ; on m’accusera peut-être de leur révéler ici le secret de l’État, mais je ne crois pas faire un grand crime. […] Si les talents sont justement choqués de ce partage, c’est à eux seuls qu’ils doivent s’en prendre ; qu’ils cessent de prodiguer leurs hommages à des gens qui croient les honorer d’un regard, et qui semblent les avertir par les démonstrations de leur politesse même qu’elle est un acte de bienveillance plutôt que de justice ; qu’ils cessent de rechercher la société des grands malgré les dégoûts visibles ou secret qu’ils y rencontrent, d’ignorer les avantages que la supériorité du génie donne sur les autres hommes, de se prosterner enfin aux genoux de ceux qui devraient être à leurs pieds. […] C’est à des amis éclairés et sévères qu’on en fait juges dans le secret, qui n’approuvent que quand ils ne sauraient faire autrement, et aux avis desquels on défère avec docilité.