Je ne veux point parler ici de cette science de dialectique et de ces ingénieuses subtilités de division, dans lesquelles on retrouve le théologien profond, l’ancien professeur de théologie morale : j’ai dans l’idée ces hardiesses et ces présences d’esprit de l’orateur, qui, même en développant ses thèmes généraux, s’adresse aux opinions, aux susceptibilités régnantes, et qui, pour déployer ses voiles et voguer presque contre le vent, consulte en bon pilote les courants et les flots. […] Ainsi, dans le sermon Sur l’hypocrisie, on a le Tartuffe de Molière blâmé et dénoncé au point de vue de la chaire ; dans le sermon de L’Impureté, l’un des plus riches et des plus complets pour la science morale, sermon qui choqua et souleva une partie de la Cour, je ne répondrais pas qu’à un certain endroit il ne fût question des Contes de La Fontaine69 ; il y est certainement question des scandales que produisit l’affaire dite des poisons, où tant de personnes considérables furent impliquées (1680). […] La princesse de Conti, présente au sermon et ayant cru reconnaître ses amis « dans ces hommes zélés, mais d’un zèle qui n’est pas selon la science, dans ces esprits toujours portés aux extrémités, qui, pour ne pas rendre la pénitence trop facile, la réduisent à l’impossible et n’en parlent jamais que dans des termes capables d’effrayer », témoigna par quelque geste qu’elle était blessée de l’allusion : ce que Bourdaloue ayant remarqué, il alla après le sermon voir la princesse, qui s’en expliqua avec lui et qui lui dit très nettement que la seconde partie l’avait fort scandalisée. […] J’ai tâché, dans ce que j’ai dit aujourd’hui à son sujet, de prouver que ce grave et puissant prédicateur, dont il ne faut pas faire un talent triste et une parole terne, avait, en effet, la finesse, la pénétration, l’à-propos et la science de l’occasion, autant que les plus fortes armes de la démonstration oratoire, et qu’à travers ce qu’il semblait ignorer et ce qu’il aimait mieux ne pas voir pour marcher comme à l’aveugle et plus hardiment, il avait l’œil très ouvert et très clairvoyant sur les hommes et les choses qui l’entouraient. — Il resterait à citer et à discuter un portrait de Bourdaloue tracé par Fénelon dans ses Dialogues sur l’éloquence, portrait où la diversité et presque l’antipathie des natures se fait sentir, et où Fénelon exprime déjà sur ce talent trop réglé et trop uni à son gré quelques-uns des dégoûts modernes : mais il s’y juge peut-être lui-même encore plus que Bourdaloue, et c’est en parlant de Fénelon qu’il y aurait à y revenir un jour.