Au dix-huitième siècle, des romanciers contemporains, et qui sont eux-mêmes de l’âge classique, Fielding, Swift, Defoe, Sterne, Richardson, ne sont reçus en France qu’avec des atténuations et après des coupures ; ils ont des mots trop francs, des scènes trop fortes ; leurs familiarités, leurs crudités, leurs bizarreries feraient tache ; le traducteur écourte, adoucit, et parfois, dans sa préface, s’excuse de ce qu’il a laissé. […] À vrai dire, dans la tragédie, la scène est partout et en tout siècle, et l’on pourrait affirmer aussi justement qu’elle n’est dans aucun siècle ni nulle part. […] Quand j’ai lu la série des romanciers anglais, Defoe, Richardson, Fielding, Smollett, Sterne et Goldsmith, jusqu’à Miss Burney et Miss Austen, je connais l’Angleterre du dix-huitième siècle ; j’ai vu des clergymen, des gentilshommes de campagne, des fermiers, des aubergistes, des marins, des gens de toute condition, haute et basse ; je sais le détail des fortunes et des carrières, ce qu’on gagne, ce qu’on dépense, comment l’on voyage, ce qu’on mange et ce qu’on boit ; j’ai en mains une file de biographies circonstanciées et précises, un tableau complet, à mille scènes, de la société tout entière, le plus ample amas de renseignements pour me guider quand je voudrai faire l’histoire de ce monde évanoui. […] Pour prendre un exemple au hasard, je trouve dans l’Optimiste (1788), de Colin d’Harleville, l’indication suivante : « La scène représente un bosquet rempli d’arbres odoriférants. » — Il eût été contraire à l’esprit classique de dire quels étaient ces arbres, lilas, tilleuls, aubépines, etc. — De même dans les paysages peints, les arbres ne sont d’aucune espèce connue : ce sont des arbres en général. […] Racine, Discours académique pour la réception de Thomas Corneille : « Dans ce chaos du poème dramatique, votre illustre frère fit voir sur la scène la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe et de tous les ornements dont notre langue est capable. » 369.