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706. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Le sang qu’on y répandoit en éloigna d’abord les femmes : mais lorsque ce sexe, sensible à la gloire autant qu’à la galanterie, fait pour n’éprouver & n’inspirer que de douces émotions, eût surmonté sa répugnance, il accourut en foule à ces spectacles ; l’honneur & l’amour devinrent l’ame de ces combats. […] Leur choix étoit d’autant plus naturel, que l’Eglise condamnoit les spectacles, & qu’elle avoit, long-temps auparavant, blâmé, prohibé les Tournois, ainsi que les Farces, tant à cause du sang humain qu’on répandoit dans les uns, que de la trop grande licence qui régnoit dans les autres. […] Mais à mesure que la nature s’est corrompue, que l’innocence a cessé d’habiter la terre, que le séjour des Villes est devenu nécessaire à une société plus nombreuse, que le fer n’a plus été travaillé pour ouvrir seulement le sein de la terre & le rendre fertile, qu’on en a forgé des armes cruelles, & que des ruisseaux de sang ont coulé dans les campagnes ; les besoins alors ont fait naître l’industrie, les Arts ont dû leur découverte au hasard, le luxe les a multipliés, l’expérience d’âge en âge a perfectionné les connoissances, les sciences se sont formées & ont été le produit des méditations constantes de l’esprit humain, les peuples de proche en proche se les sont communiquées, & ceux chez lesquels elles ont jeté les plus profondes racines, ont été les plus favorisés de la nature. […] Est-il besoin que le poignard & le laurier de Melpomène soient toujours teints & arrosés de sang ? […] Faut-il que le sang coule sur les Autels, que la terre en soit abreuvée, que l’ennemi vainqueur boive celui du vaincu ?

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