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278. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Il nous en lisait, à son neveu et à moi, des passages le matin ; le soir il écrivait, sur un gros livre blanc qu’on appelait le livre du fou rire, les anecdotes les plus niaises et les plus bouffonnes recueillies de la vie ou de la bouche de tous les sots d’Italie ou de Savoie pour dérider innocemment les plus austères soirées. […] Il y avait un abîme de vices et un abîme de vertus entre Rabelais et l’abbé de Maistre ; la bêtise seule, la bêtise pure, la bêtise qui s’ignore, qui s’enfle et qui jouit naïvement d’elle-même, était enregistrée dans ces pages ; le rire qui en sortait était franc, mais point méchant : l’abbé de Maistre mettait de la charité même dans le ridicule. […] La prière et la méditation, auxquelles il consacrait ses matinées, répandaient une ombre de recueillement et de concentration d’esprit sur ses traits ; mais le sérieux et l’enjouement étaient fondus à doses si égales dans sa nature que l’on voyait toujours le rire éclatant prêt à trahir la gravité sur ses lèvres. […] Ce sont toujours les visages graves qui décochent mieux le rire communicatif, parce qu’il est plus inattendu. […] Si les ombres rient dans l’éternité, l’âme beaucoup trop rieuse de celui qui fut ici-bas le comte de Maistre doit bien rire en voyant son nom servir d’autorité à une révolution.

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