Je vis sur le milieu du pont, devant moi, un magnifique chariot de riches paysans, de la plaine du Cerchio, autour de Lucques, tout chargé de beau monde, en habits de noces, et recouvert contre le soleil d’un magnifique dais de toile bleue parsemée de petits bouquets de fleurs d’œillets, de pavots et de marguerites des blés, avec de belles tiges d’épis barbus jaunes comme l’or, et des grappes de raisins mûrs, avec leurs pampres, et bleus comme à la veille des vendanges. […] CXLVIII — Celle-ci, me disait-il, celle qui vous a vu la première évanoui sur le bord du chemin, c’est la fille du riche métayer Placidio de Buon Visi, qui a une étable pleine de dix bœufs comme ceux-ci, de grands champs bordés de peupliers, unis entre eux par des guirlandes de pampres qu’on vendange avec des échelles, et parsemés çà et là de nombreux mûriers à tête ronde, dont les filles cueillent les feuilles dans des canestres (sorte de paniers pour contenir l’été la nourriture des vers à soie). […] Nos familles sont alliées depuis longues années, à ce que dit notre aïeule, et c’est elle qui a ménagé ce mariage depuis longtemps, parce qu’elle était la marraine de la fiancée, parce que la fille sera riche pour notre condition, et que les deux mariés s’aiment, dit-elle, depuis le jour où la fille du bargello, petite alors, était venue pour la première fois chez sa marraine assister, avec nous autres, à la vendange des vignes et fouler, en chantant, les grappes dans les granges avec ses beaux pieds, tout rougis de l’écume du vin. […] C’est l’habitude du pays de Lucques, quand la noce des paysans est riche et la famille respectée, qu’un musicien, soit fifre, soit violon, soit hautbois, soit musette, soit même tambour de basque, se tienne debout sur le devant du char à bœufs et qu’il joue des aubades, ou des marches, ou des tarentelles joyeuses en l’honneur des mariés et des assistants.