Mais voilà qu’en route, vers la hauteur du cap Malée, la flotte magnifique rencontre tout à point deux vaisseaux chargés de chevaliers et de gens de pied, qui étaient de ceux qui avaient précédemment faussé compagnie, et qui au lieu de venir, comme c’était convenu, au rendez-vous de Venise, s’étaient petitement embarqués à Marseille, étaient allés en toute hâte en Syrie, n’y avaient fait que maigre besogne, et s’en revenaient dégagés de leur vœu à la rigueur, mais chétifs et confus. […] quand ils virent la riche et belle flotte, qui avait si peu perdu pour attendre, surgir à toutes voiles et passer bientôt tout près d’eux, « ils en eurent si grande honte, dit Villehardouin, qu’ils n’osèrent se montrer » ; et le comte de Flandre ayant envoyé une barque pour les reconnaître, un des soldats non chevaliers, qui était parmi les transfuges, se laissa couler dedans, et cria de là à ceux qu’il abandonnait : « Je vous tiens quittes de tout ce que je laisse à bord, mais je m’en veux aller avec ceux-là qui m’ont tout l’air de devoir conquérir du pays. » Ce soldat, qui s’échappait d’avec les fugitifs pour s’en revenir avec les conquérants, fut reçu à merveille, on le peut croire ; on l’accueillit comme l’enfant prodigue87, et cet épisode anima la traversée.