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542. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Lorsqu’on n’avait pas encore amené son cheval, elle restait là. […] Toutes les circonstances, même les plus futiles, de cette mémorable et unique soirée, lui restent gravées dans le cœur et y travailleront sourdement : « Son voyage à la Vaubyessard avait fait un trou dans sa vie, à la manière de ces grandes crevasses qu’un orage, en une seule nuit, creuse quelquefois dans les montagnes. » Quand le lendemain du bal, partis au matin de la Vaubyessard, et de retour chez eux à l’heure du dîner, M. et Mme Bovary se retrouvent dans leur petit ménage, devant leur table modeste où fume une soupe à l’oignon et un morceau de veau à l’oseille, Bovary est heureux, il se frotte les mains en disant : « Cela fait plaisir de se retrouver chez soi !  […] Le nouveau pays où l’on s’installe, et qui confine à la Picardie, « contrée bâtarde où le langage est sans accentuation comme le paysage sans caractère », est décrit avec une vérité non flatteuse ; le gros bourg et les principaux habitants, le curé, le percepteur, l’aubergiste, le sacristain, le notaire, etc., y sont pris sur le fait et restent fixés dans la mémoire. […] Dans ces vies de province, où il y a tant de tracasseries, de persécutions, d’ambitions chétives et de coups d’épingle, il y a aussi de bonnes et belles âmes, restées innocentes, mieux conservées qu’ailleurs et plus recueillies ; il y a de la pudeur, des résignations, des dévouements durant de longues années : qui de nous n’en sait des exemples ?

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