Ce moment est décisif dans la vie de Voltaire, et signale en effet son véritable avènement à la monarchie littéraire universelle : il règne et régnera durant les vingt années qui lui restent encore à vivre ; mais nous n’avons aujourd’hui qu’à le suivre dans sa relation avec le président de Brosses avec qui il est entré en affaires d’intérêts. […] Une lettre qu’il écrivit dans ce train d’idées au président, lui valut une réponse qui restera mémorable dans l’histoire de sa vie, et qu’il faut mettre à côté de la noble lettre que le grand Haller lui adressa un jour pour faire cesser les manèges et les intrigues où il essayait de l’immiscer : Souvenez-vous, monsieur, lui disait de Brosses, des avis prudents que je vous ai ci-devant donnés en conversation, lorsqu’en me racontât les traverses de votre vie, vous ajoutâtes que vous étiez d’un caractère naturellement insolent. […] Je désire, en vérité, de très bon cœur, que votre jouissance soit longue, et que vous puissiez continuer encore trente ans à illustrer votre siècle : car, malgré vos faiblesses, vous resterez toujours un très grand homme… dans vos écrits. […] Rester indépendant et faire bande à part 21, surtout quand on a été tout à côté, cela équivaut presque, à dénoncer et à trahir. […] Le président de Brosses, pour n’avoir pas voulu faire cadeau à Voltaire des quatorze moules de bois livrés par Charlot Baudy, ne put jamais être de l’Académie française ; et (ce qui est plus grave) sa mémoire, a l’heure qu’il est, resterait encore entachée de ces odieuses imputations de dol, insinuées avec tant d’impudeur par Voltaire, si la correspondance mise au jour ne montrait nettement de quel côté est l’honnête homme, de quel côté le calomniateur et le menteur.